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Vous en trouverez ci-dessous la transcription.
Axel Moisan : Bonjour à tous et bienvenue dans Le Mag sur Sensations. Je suis aujourd'hui avec Marie Bray. Bonjour.
Vous êtes la présidente de l'association Les Enfants de Béna Plateau qui a pour objectif premier d'apporter de l'aide aux enfants du village de Béna Plateau qui est situé au Togo à avoir une scolarité normale. L’association est née en novembre 2019. Racontez-nous les débuts : elle vient d'où cette idée ?
Marie Bray : Elle vient d'une idée pas bizarre du tout, mais étonnante. J'ai une belle fille qui est togolaise et quand elle s'est mariée avec mon fils, ils voulaient à tout prix faire la fête religieuse au Togo.
Donc nous y sommes allés avec toute la famille et après les festivités religieuses, on est allés faire un tour dans le pays et j'avais tenu à voir le village dans lequel elle avait vécu et l'école dans laquelle elle était allée. On est arrivés dans ce village et on a visité cette école. On a passé une journée avec des chants, des fêtes, des danses très très sympas et on avait apporté des cadeaux et des fournitures scolaires.
Mais quand on a vu l'état de l'école, je me suis dit : ce n’est pas possible ! Ce n'est pas une école ! C'est dommage, mais qu'est-ce qu'on peut faire ? On est rentrés et puis quand je suis arrivée chez moi dans l'appartement avec une cuisine avec des tiroirs qui glissaient, avec de l'eau au robinet, de la lumière par un simple bouton au mur, je me suis dit ce n'est pas possible…
Ces femmes, elles vont chercher 30 kg d'eau sur leur tête six fois par jour. Elles vont chercher le bois hors du village. Elles cuisinent accroupies. Elles allaitent leur bébé. Elles portent leur bébé dans le dos parfois avec un autre bébé dans le ventre en plus… C’est trop ! La différence est trop forte ! Il faut que je fasse quelque chose, mais quoi ?
Alors bien sûr, on peut toujours envoyer un peu d'argent. Mais l'argent est au profit de quelques-uns mais pas d'un groupe. J’en ai parlé autour de moi et on m'a dit : "Tu ne peux rien faire si tu n'as pas d'association parce que tu n'as pas de regard sur l'extérieur".
J'ai beaucoup hésité parce que les formalités administratives, je n'aime pas trop ça. Mais comme c'était la seule solution…
On est rentrés de ce voyage-là début août et le 19 novembre l'association était créée.
Le 6 janvier 2020, on était déjà sur place pour faire les premiers travaux de toiture.
Axel Moisan : Vous avez donc pour ambition de donner aux enfants de Béna Plateau tous les moyens pour qu'ils puissent suivre une scolarité normale en leur apportant le matériel pédagogique nécessaire. Qu'est-ce que c'est une scolarité normale pour vous ?
Marie Bray : C'est déjà travailler dans des conditions qui soient acceptables. Je veux dire que la pluie ne vienne pas mouiller vos cahiers, que vous soyez assis sur un banc, même rustique, mais que vous ayez quand même une place assise, que vous ayez un sol correct, là ce n'était même pas de la terre battue, c'était un mélange très poussiéreux.
Il n’y avait pas de porte, pas de fenêtre, donc aucun matériel qui puisse rester dans la classe. On a donc commencé par ça : améliorer le bâtiment.
Après, on a commencé à apporter un peu de matériel pédagogique pour que les maîtres puissent avoir un peu de matériel, parce qu'à part l'ardoise et la craie, ils n'avaient rien.
Axel Moisan : Vous fondez donc l’association en novembre 2019 et étiez au village de Béna Plateau dès janvier 2020. Après les travaux de construction et de rénovation de l’école, vous avez créé une bibliothèque. Tout cela a donc été réalisé en un an. Comment cela a-t-il été possible ?
Marie Bray : Parce que quand je suis chez moi, je travaille beaucoup. J’ai une ou deux personnes sur place qui assurent notre relais. Quand on arrive pour notre séjour, tout est prêt. En général, on reste trois semaines voire un mois, quelques fois plus.
Lorsqu’on arrive si, par exemple, on a choisi de refaire deux classes, les maçons sont prévenus et le matériel est là. On bosse, on bosse… Enfin, ce n’est pas moi qui fais les murs, mais on surveille les travaux.
C'est comme ça que ça peut marcher. L’idéal serait bien sûr de rester toute l'année, mais moi, j'ai quand même ma vie ici, j'ai ma famille. C’est un petit peu difficile pour elle.
Axel Moisan : Qu'est-ce que ça vous a fait personnellement de voir des avancées concrètes aussi rapides ?
Marie Bray : C'est très enthousiasmant ! C'est très rassurant, même si à côté de cela, on a l'impression que la population et les instituteurs ne suivent pas aussi vite que nous voudrions sur les avancées pédagogiques.
Il faut qu’ils s'adaptent et cela prend du temps, bien sûr. Il faut déjà qu’ils reconnaissent le bien-fondé de ce qu'on a apporté. Nous ne voulons pas tout changer pour dire de tout changer. Il faut que ça change pour le bien des enfants.
Une fois qu'ils ont reconnu le bien-fondé du changement, il faut qu'ils adaptent. Mais ils ont un peu de mal à innover. C’est donc pour ça qu'on a un accompagnement deux fois par an.
Axel Moisan : En plus de la scolarité, vous militez également pour stimuler les enfants autrement en mettant en place des spectacles par exemple, ou des jeux ou des activités sportives.
Vous avez notamment créé un atelier couture, un terrain de badminton et vous prévoyez de mettre en place des paniers de basket. En quoi est-ce important pour eux d'avoir ces infrastructures ?
Marie Bray : Alors il faut savoir que les enfants du village ne jouent pas. Le matin, ils se lèvent vers 6h avec le lever du jour comme il n'y a pas d'électricité. Et ils commencent par travailler. Ils vont chercher de l'eau au marigot. Ils vont chercher du bois et s’occupent des petits frères et sœurs.
Quand l’école commence à 7h30, ils ont déjà fait déjà deux heures de travail. Lorsqu’ils sortent de l'école, ils vont manger. Et rebelote, ils retournent au marigot…
Ils ne jouent jamais. Ils n’ont même pas de ballons par exemple. Enfin, ils n’avaient même pas de ballons donc ils n’avaient pas l'idée de jouer. Si survient un moment où ils n'ont rien à faire, ils vont attendre…
Ils vont venir nous regarder par exemple. Quand on est là, ils nous regardent, mais le jeu n'est pas dans leur culture. C'est un peu bête de dire ça. Je ne veux pas faire l'extension sur tout le Togo, mais pour les enfants que nous voyons le jeu n’existe pas. Il n’y a que le travail, le travail, le travail.
C’est pour ça que le spectacle et le sport vont leur apporter des quantités de notions de latéralisation de concentration et autres valeurs éducatives mais en plus, ça les fait jouer. Le club de couture a un autre intérêt.
Axel Moisan : Depuis la création de l'association, vous êtes partis sept fois à Béna Plateau. Il me semble que la dernière fois, c'était en mars. Où en êtes-vous actuellement ?
Marie Bray : Nous préparons un autre voyage pour le 19 octobre 2023. Pour ce voyage d'un mois, on va emmener avec nous deux institutrices qui sont déjà venues l'année dernière et qui servent de tutrices aux instituteurs locaux. Nous sommes en train de faire les démarches pour qu’un jeune puisse venir en service civique pour s’occuper du sport. Nous espérons que cela sera possible.
Moi, je fais le sport classique dans l'école. Il faut savoir que les instituteurs ne faisaient pas faire de sport aux enfants. Il y a une heure de sport prévue dans le programme de la semaine, mais ils ne la faisaient pas.
J’animais donc cette heure de sport, ayant été professeur d’éducation physique et sportive. Les enfants adorent ça. Ils s'amusent et progressent en s'amusant. Maintenant, les instituteurs commencent à faire l’heure de sport. Ce que je voudrais donc, c'est que des clubs se créent.
Enfin que la présence du jeune en service civique débouche sur une création de club. Cela, on ne peut pas le faire en un mois, même en venant deux fois par an. Par exemple, on vient de créer une équipe de foot féminine. Ce sont des élèves que j'ai eues en CM1/CM2 qui sont maintenant en 6e.
Elles continuent le sport avec le prof de sport du collège. Ce prof de sport, je l'ai rencontré et nous avons créé une équipe de foot féminine. C'est très important pour les filles de faire du sport et en plus, cette équipe est aussi la seule revendication qu'elles puissent avoir :
« Je fais du sport pendant une heure, une ou deux fois par semaine. Je prends du plaisir à la faire. C’est uniquement pour moi. » Ça, c'est un truc phénoménal.
Axel Moisan : Que manque-t-il aujourd'hui pour que les enfants de Béna Plateau aient une scolarité normale ?
Marie Bray : Il manque un petit peu de matériel mais pour l'instant, les instituteurs ne sont pas formés à utiliser ce matériel pédagogique donc je vais dire que, pour l'instant, c'est un petit peu trop hâtif.
Axel Moisan : Je suis désolé de vous couper Marie, cela fait déjà 10 minutes. Je suis désolé. Je sais que quand on parle de choses qui vous intéressent, ça va très vite. Merci d'avoir été avec nous sur Sensations et pour revoir ou réécouter cette émission rendez-vous sur notre site et application radio Sensations.
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